Introduction
“Il faut jouer pour devenir sérieux.”
Aristote
La méthode GAME… Qu’est-ce donc que cela ?
Avez-vous déjà entendu parler de gamification ? Cet ensemble de “mécanismes” empruntés aux jeux vidéos qui permet, par exemple, d’augmenter l’engagement et la fidélité de sa clientèle pour qu’elle consomme encore et encore plus de produits et services 🤑? Je sais, je ne vous vends pas du rêve là… Mais attendez la suite.
Savez-vous qu’il est possible de transposer ces mécanismes de gamification dans votre enseignement (on parle aussi de ludification) ? Voire de les intégrer afin d’orienter positivement certains comportements et d’atteindre des objectifs pédagogiques ambitieux ? Je marque déjà quelques points, non ?
Et, cerise sur le gâteau 🍰, savez-vous que ces mécanismes peuvent être adaptés à votre public cible ? Adaptés à votre réalité de terrain ? Et même à vos compétences numériques ? Inutile d’être un·e pro de FIFA24 ⚽ pour vous en sortir. J’ai titillé votre curiosité, avouez ! Si c’est la cas, nous pouvons entrer dans le vif du sujet avec quelques notions préparatoires (mais pas beaucoup, promis).
Ludification et ludicisation
Saisir la différence entre ces deux concepts est un préalable à la bonne lecture de cet article.
- LUDIFICATION : utilisation de codes et de mécanismes, habituellement associés aux jeux (vidéos), dans d’autres domaines afin de stimuler la participation et l’engagement.
- LUDICISATION : changer le sens d’une situation d’apprentissage afin qu’elle soit perçue comme ludique.
Cette métaphore (générée par l’IA), illustre assez bien cette différence :
Imaginez un jardin et une forêt…
- La ludification reviendrait à ajouter des structures de jeu, comme des balançoires, des toboggans et des terrains de jeu dans un jardin. Ces éléments de jeu rendent l’expérience du jardin plus engageante et divertissante, mais l’essence du jardin reste la même : un espace où les gens peuvent se détendre et profiter de la nature.
- La ludicisation, en revanche, serait que la forêt devienne elle-même un terrain de jeu. Les arbres pourraient devenir des obstacles à surmonter, les sentiers pourraient devenir des pistes de course, et les clairières pourraient devenir des arènes pour des jeux d’équipe. Dans ce cas, le caractère fondamental de la forêt est transformé par l’ajout d’éléments ludiques, ce qui change fondamentalement l’expérience de ceux qui l’explorent.
Enfin, concrètement, imaginez une énorme série d’exercices de mathématiques (😫). Nous pourrions :
- ludifier cette série en proposant une récompense ou un badge à l’étudiant une fois les exercices terminés et corrigés ;
- ludiciser cette série en l’intégrant dans un scénario de type “Mission d’équipes”, avec un objectif commun (ou en mode compétition), en morcelant la masse de travail par la création de niveaux de difficulté, …
D’un point de vue pédagogique, ludifier revient en quelques sortes à ajouter une “couche de jeu” sur une séquence d’apprentissage existante. Ludiciser impose de retravailler cette séquence d’apprentissage afin de la rendre ludique.
En résumé, la ludification se concentre sur les mécanismes de récompenses du jeu (game-centered design). La ludicisation quant à elle oriente son action sur les facteurs de motivation humaine stimulés par le jeu (human-centered design).
La méthode GAME
La méthode évoquée ci-après est issue de l’ouvrage intitulé “La gamification ou l’art d’utiliser les mécaniques du jeu dans votre business” (C. Muletier, G. Bertholet et T. Lang – Editions Eyrolles).
Cette méthode a bien sûr été adaptée au domaine pédagogique, notamment dans le cadre du projet “Serious Game” mené il y a quelques années au sein de la Province de Hainaut. Ce projet visait à introduire ces mécaniques afin d’augmenter l’engagement des étudiants de secondaire, leur plaisir mais également leur bien-être en classe. J’ai eu la chance de faire partie de l’équipe Alpha du projet, ce qui m’a énormément apporté durant plusieurs années.
Un acronyme… évidemment !
GAME est l’acronyme de “Goals – Actions – Merits – Evaluation”. Il s’agit d’un processus pédagogique en quatre étapes reprenant en quelque sorte une séquence d’enseignement depuis sa création.
Goals – Définissez vos objectifs
Première étape de la méthode GAME et étape primordiale à la conception d’un cours en bonne et due forme ! Elle consiste à se poser, programme ou dossier pédagogique à portée de main. Vous définissez alors les différentes étapes qui permettront à vos apprenants d’acquérir les compétences requises. À ce niveaux, contentez-vous de “morceler” les compétences terminales visées dans votre cours en sous-compétences. Celles-ci seront plus facilement atteignables par vos apprenants.
Annoncez-les !
Il est important que vos étudiants aient une vision claire de l’objectif à atteindre. Ce mécanisme est souvent utilisé dans les jeux vidéos pour stimuler les joueurs. L’objectif de la mission ou du niveau est clairement annoncé dès le départ. Pour cela, différentes possibilités s’offrent à vous. En effet, pour annoncer vos objectifs et sous-objectifs, vous pouvez :
- les représenter sous forme d’arbre de compétences ;
- les placer de façon chronologique sur une ligne du temps ;
- les dispatcher sur une carte géographique (imaginaire ou non) ;
- créer une histoire ;
- …
Annoncer les objectifs favorisera l’instauration d’un cadre clair tant au niveau du contenu que de vos attentes. Ce qui aura pour effet de rassurer l’apprenant.
(🔐5 = ⬅️)
Prévoyez différents scenarii
Je ne vous apprendrai rien en disant que tous les étudiants n’arrivent pas avec le même bagage (scolaire, culturel, familial, …) dans nos classes. Dès lors, bien qu’un cadre (je parle toujours de contenu) soit nécessaire pour le bon déroulement de vos cours, veillez à laisser une “marge de manœuvre” à vos étudiants. Cela leur permettra de s’approprier le cours. Offrez-leur la possibilité d’accéder à des aides supplémentaires en cas de besoin (une zone d’entraînement/remédiation par exemple). Ou encore à des défis plus stimulants s’ils le souhaitent (avec valorisation à la clé s’il-vous-plaît 😁).
Cela vous permettra de développer un cours non seulement riche en contenus, mais centré sur l’apprenant, sur son expérience (ne parlait-on pas de “human-center design” un peu plus haut ?).
Générez le “flow”
Le “flow” est un état de concentration optimale permettant de repousser ses limites et de développer sa créativité. Cet état est atteint lorsque l’activité génère un juste équilibre entre challenge et simple mise en application des compétences.
Ce point rejoint le précédent car quoi de mieux que le human-center design pour favoriser ce flow ? Une difficulté trop importante risque de décourager et, a contrario, trop de facilité causera à terme l’ennui. Tout l’art, votre art, sera de réaliser une scénarisation pédagogique qui tienne la route. Mais également de concevoir des expériences ludiques adaptées, permettant d’induire cet état.
Des expériences ludiques ? Qu’est-ce donc que cela ? Je vous en parle juste après (#masteroftransition😎) !
Actions – Créez des expériences ludiques
Apprenez à connaître vos “joueurs”
Pour créer une expérience ludique, seconde étape de la méthode GAME, il est important de connaître sa “communauté”, c’est-à-dire son public d’apprenants. En effet, certains leviers de ludicisation/ludification seront plus ou moins efficaces en fonction du type de “joueur” vous faisant face (et oui, nous sommes tous des joueurs 🤗). Selon la taxonomie de Bartle quatre profils types de joueurs peuvent être identifiés : les tueurs, les socialisateurs, les explorateurs et les accomplisseurs. Chaque type de joueur présente des caractéristiques bien spécifiques et il est bien sûr possible de cumuler différents profils de joueur. Je suis moi-même Explorateur/Accomplisseur selon le test de Bartle (faites-le, c’est marrant 😁).
Adaptez les leviers
Afin que vos activités soient efficaces et porteuses, elles doivent intégrer des leviers d’engagement judicieusement choisis et utilisés aux moments opportuns. Dans l’infographie ci-dessous, vous trouverez les 9 leviers d’engagement selon Fidbak, une entreprise qui accompagne diverses sociétés dans leur stratégie de gamification. On retrouvera de manière générale le même types de leviers dans les divers courants de gamification (et notamment dans la méthode GAME).
Bien qu’ils ne soient pas directement liés à la taxonomie de Bartle, il va de soi que ces leviers peuvent être associés à l’un ou l’autre type de joueur. L‘influence sociale pourra par exemple servir de levier aux joueurs de type socialisateurs et tueurs, permettant aux uns de se connecter au reste de la communauté et aux autres d’affirmer leur influence. Après tout, si cette influence est constructive, pourquoi pas ?
Un article complet serait nécessaire pour détailler les mécaniques, leviers et activités ludiques pertinentes en fonction du type de joueur. Nous pourrions parler du storytelling qui stimulera les explorateurs ou encore des activités de coopération pour les socialisateurs, des activités de type compétition pour les tueurs ainsi que du jeu de rôle particulièrement efficace auprès des accomplisseurs. Vous retrouverez également des idées d’outils dans les articles de Sébastien (lien vers Lumi et Road map). N’hésitez pas à revenir vers notre cellule si vous souhaitez que nous creusions ensemble le sujet au travers d’une formation 😉(technopedia@cpeons.be).
Merits – Établissez un système de récompenses
Cette troisième étape de la méthode GAME est extrêmement importante. En effet, les avantages d’un système de récompenses sont multiples : créer de l’attrait, entretenir la motivation sur le long terme et l’épanouissement de l’apprenant au sein de son expérience ludique d’apprentissage. Mais, là encore, certains principes de base sont à garder à l’esprit pour que ces récompenses ne perdent pas de leur “essence”.
Motivation extrinsèque et intrinsèque
Extrinsèque ? Intrinsèque ? Dans l’établissement d’un système de récompenses, il est très important d’avoir à l’esprit ces deux types de motivation. Et pour expliquer cela, rien de telle qu’une métaphore (rédigée à l’aide de l’IA 🤖) :
Imaginez que vous êtes musicien. La motivation intrinsèque serait votre amour pour la musique. Vous jouez de votre instrument parce que cela vous procure du plaisir, vous permet de vous exprimer et vous donne un sentiment d’accomplissement. C’est une flamme intérieure qui vous pousse à jouer, même lorsque personne n’écoute.
La motivation extrinsèque serait constituée des applaudissements et des éloges du public après une performance. Ce sont des récompenses externes qui peuvent vous encourager à vous améliorer et à continuer à jouer, mais elles ne sont pas la raison principale pour laquelle vous faites de la musique.
Ainsi, la motivation intrinsèque est représentée par l’amour et la passion qui viennent de l’intérieur. Ce sont des leviers indispensables et efficaces à long terme. Tandis que la motivation extrinsèque est alimentée par des récompenses ou des reconnaissances externes qui, bien que gratifiantes, restent finalement secondaires et relativement ponctuelles.
La pyramide des récompenses
Maintenant que vous avez bien en tête la différence entre motivation extrinsèque et intrinsèque, nous allons pouvoir catégoriser les types de récompenses sur base de deux critères :
- le type de motivation évidement (extrinsèque ou intrinsèque) ;
- le niveau d’expertise (débutant, confirmé ou expert).
Cette catégorisation permet de mettre en avant 6 types de récompenses, comme l’illustre ce schéma :
En fonction du niveau d’expertise, la récompense ne vise pas toujours le même objectif. En effet :
- si l’apprenant est d’un niveau débutant dans votre mécanique d’apprentissage ludique, il faudra probablement dans un premier temps l’attirer (Viens gamin !), à l’aide de récompenses externes. Une récompense d’accomplissement suite à la réalisation de la première activité (un badge, une cote de participation, …) par exemple.
- si votre apprenant est d’un niveau expert au sein de la mécanique d’apprentissage ludique, on aura tendance à favoriser les récompenses internes (feedbacks, classement, barre de progression, …) dont le but sera de consolider la motivation déjà existante et de pousser au dépassement. Même si un objet ultra rare ou un super badge qui claque est toujours plaisant à recevoir 🤗
Ici aussi nous pourrions partir sur un article complet afin d’étudier dans le détail le différentes récompenses et leur pertinence en fonction du niveau d’expertise et même du type de joueur. Si cela vous tente, contactez-nous !
Evaluation – Des outils pour vous accompagner
Dans la méthode GAME issue de l’ouvrage “La gamification ou l’art d’utiliser les mécaniques du jeu dans votre business”, l’évaluation revêt un caractère particulier. En effet, il s’agit non pas d’une évaluation (des acquis, de la méthode, …) au sens courant du terme mais plutôt d’outils permettant, à chaque étape du processus (G, A et M), de vous guider dans vos choix.
Pour la partie évaluation des objectifs (Goals), vous trouverez par exemple un tableau récapitulatif des mécaniques du flow, un arbre de planification des buts et de pointification (afin de mettre en place les buts de votre système et hiérarchiser leur importance en les pondérant avec des points), …
Dans la partie évaluation des actions, vous trouverez cette fois un tableau reprenant les mécaniques ludiques principales et les résultats qu’elles permettent d’obtenir (voir tableau ci-dessous) ou encore un listing vous permettant de cibler les expériences ludiques en fonction de vos besoins, …
Enfin, dans la partie évaluation des récompenses (Merits), vous sont proposés un questionnaire permettant de déterminer le niveau des joueurs (débutants, confirmés, experts), une méthodologie permettant de déterminer la nature de la motivation des joueurs, …
Conclusion
À travers cet article, je souhaitais vous donner un aperçu de la méthode GAME. Il reste encore énormément de chose à dire sur le sujet, mais je me devais de synthétiser afin de vous en donner un aperçu le plus global possible. Je terminerai cet article en vous proposant quelques conseils, issus de mon humble expérience dans la mise en application de cette méthode au sein de mes classes, lorsque j’enseignais les maths en secondaire (les enfants prenaient du plaisir à venir en cours).
Tout d’abord, donnez-vous le temps, posez de petits objectifs. Il est inutile de tout gamifier du premier coup (cela m’a pris plusieurs années pour arriver à un résultat “fini”). Commencez par ludiciser une séquence. Celle qui passe le moins bien par exemple. Ou la séquence pour laquelle les résultats ne sont pas à la hauteur de vos espérances. Et élargissez ensuite au fur et à mesure. Cela vous permettra de mettre rapidement le doigt sur les points forts et les points à retravailler dans votre méthode.
Travaillez en équipe, faites-vous accompagner (“Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.”). Vous pouvez également utiliser des outils de scénarisation comme ABC Learning Design (lien vers l’article), ou encore l’intelligence artificielle (lien vers l’article d’Oli). Je me revois encore les mois d’août avec mon jeune collègue. Nous organisions une visio, durant laquelle chacun exposait les idées qui lui étaient venues durant le congé. Nous mettions alors sur papier ces idées d’amélioration, de nouveauté ainsi que les chantiers directeurs de l’année scolaire à venir. Cela nous permettait d’avoir une ligne directrice, un cap à suivre pour l’année scolaire. Des objectifs qui soient tenables physiquement sur le long terme. Tout cela ne l’oublions pas venait en complément de notre charge horaire et de notre vie personnelle.
Gamifier ne signifie pas forcément avoir recours au numérique, même si l’outil peut s’avérer intéressant. Il est possible de gamifier à l’aide de jeux de sociétés par exemple (lien vers l’article de NicoMel). Là aussi, allez-y par petits pas, en vous faisant accompagner (par votre cellule Technopédia par exemple 😎). Si l’utilisation du numérique apporte une plus-value pédagogique alors n’hésitez pas, lancez-vous ! Vous trouverez probablement quelques idées dans notre catalogue de formations.
Je vous remercie pour votre lecture et j’espère avoir susciter quelque peu votre intérêt pour la méthode GAME qui peut, j’en suis convaincu, apporter une plus-value pédagogique et humaine dans notre enseignement.
Bibliographie – Sitographie
Ariane (Fidbak.io). Comprendre les motivations des joueurs : la taxonomie de Bartle et les 9 leviers d’engagement. https://fidbak.io/blog-et-etudes-de-cas/comprendre-motivations-joueurs/
Bagalini R. (2019). Engager les utilisateurs grâce à la pyramide des récompenses. Site Medium.com. https://medium.com/@raffaele.bagalini/engager-les-utilisateurs-gr%C3%A2ce-%C3%A0-la-pyramide-des-r%C3%A9compenses-8ae6fe6fd785
Chenette A. (2021). 8 leçons tirées des jeux vidéo pour augmenter la motivation et l’engagement. Magazine Ecole Branchée. https://ecolebranchee.com/ludification-ludicisation-8-lecons/
Chenette A., Carrefour Education, Ecole Branchée (2022). Dossier “Jouer pour apprendre : de la ludification à la ludicisation”. Magazine Ecole Branchée. https://ecolebranchee.com/jouer-pour-apprendre-de-la-ludification-a-la-ludicisation/
Muletier C., Bertholet G., Lan T. (2014). La gamification ou l’art d’utiliser les mécaniques du jeu dans votre business. Eyrolles.
Sanchez E. La ludicisation des apprentissages (propos recueillis pour le site “Le café pédagogique). https://www.cafepedagogique.net/2023/01/24/erice-sanchez-la-ludicisation-des-apprentissages/
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