S’il est un fait que l’on doit prendre en compte avec l’émergence des “intelligences artificielles” auprès du grand public, c’est que celles-ci ont réveillé un vieux mythe :
Les étudiants n’auront bientôt plus besoin d’enseignants à cause du numérique.
Regardez seulement :
- ils n’ont plus besoin d’aller à la bibliothèque, ils ont un moteur de recherche;
- ils n’ont plus besoin de mémoriser quoi que ce soit, ils ont un smartphone capable de tout retenir pour eux;
- ils n’auront bientôt plus besoin de venir suivre des cours, une intelligence artificielle créera un cours sur-mesure pour eux.
L’obsolescence des pratiques enseignantes, un mythe qui a la dent dure
En 1913, Thomas Edison annonçait l’obsolescence des livres grâce à la force de frappe pédagogique que représentait alors l’invention du cinéma capable “d’enseigner tous les domaines de la connaissance humaine.” (Tricot, 2016). Ambitieux, Thomas Edison prévoyait une refonte totale du système scolaire dans les 10 ans, celui-ci serait basé entièrement sur la dispense d’un enseignement visuel.
Plutôt visionnaire alors le Thomas ? En 2017, Christos Goodrow Vice-président de l’ingénierie chez YouTube annonçait que les utilisateurs visionnaient 1 milliard d’heures de contenus vidéo par jour. Pour un seul individu, cela représenterait 100 000 ans pour ingurgiter ce contenu (Goodrow, 2017).
Je vous laisse un instant pour vous le représenter. Ah et saviez-vous que désormais 500 heures de contenus sont mises en ligne ? Plus par jour mais par minute.
L’évolution des pratiques enseignantes, mythe ou réalité ?
Et l’enseignement ? Il doit avoir évolué depuis 1913, imaginez, 500 heures de contenus supplémentaires chaque minute !
En 2018, 98% des enseignants disposaient d’un ordinateur ou d’une tablette mais 62% considéraient Internet comme une ressource pour l’éducation. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que 93% des chargés de cours en Promotion Sociale déclaraient utiliser Internet pour préparer leurs cours mais n’utilisaient les plateformes d’apprentissages (vous savez, Moodle et autre associés? ) qu’à hauteur de 9% et moins de 20% pour la rédaction d’un support de cours (Digital Wallonia, 2018).
Bien sûr il y a eu la période COVID qui a rapproché certains de la visio-conférence et a définitivement dégoûté les autres. Malgré tout, cela a ouvert une voie : le numérique peut répondre à certaines situations de crise. Mais avez-vous modifié profondément vos pratiques pour autant ?
Pendant le confinement, de nombreux collègues nous demandaient comment faire pour que les étudiants allument leur caméra : “Faut-il les y obliger ou non?”. D’autres, parfois les mêmes, trouvaient exténuant de se retrouver pendant 4 périodes à parler tout seul devant son écran auréolés de rectangles noirs affichant au mieux les initiales des participants, micros coupés bien évidemment.
Après un confinement révélateur pour certains et un retour en classe salvateur pour d’autres, voilà que OpenAI force la main de la révolution numérique en propulsant son chatbot conversationnel aux yeux du grand public. Et des promesses il y en a au point que le géant Microsoft annonce un “investissement pluriannuel de plusieurs milliards” pour s’associer à OpenAI, rien que ça.
Nous nous éloignons de notre salle de classe, mais revenons-y justement.
Outils numériques
Des peurs…
En formation, nous entendons que le métier d’enseignant est voué à disparaître. Personnellement, j’ai du mal à accéder à cette idée. Il va et doit évoluer mais pas à cause de l’intelligence artificielle mais plutôt grâce aux apports de la recherche en neurosciences, à la compréhension des mécanismes pédagogiques qui favorisent l’apprentissage.
J’entends également régulièrement
“Oui le numérique ok, mais si je mets mon cours en ligne, les étudiants ne viendront plus en classe.”
Il y a dans ces propos une grande incompréhension et une peur réelle de “ne plus servir à rien.” Pourtant, Amadieu et Tricot (2016, chapitres 3 et 11) expliquent cela parfaitement à l’aide de deux points clés :
- Enseigner, ce n’est pas la même chose qu’apprendre.
- Apprendre en autonomie demande une grande autorégulation. Et rajoutons que les autodidactes ne courent pas les rues.
Je vous invite sincèrement à lire cet ouvrage éclairant sur l’usage du numérique dans l’enseignement pour approfondir ce sujet.
Mais à ce stade, que pouvons-nous retenir et quelles questions pouvons-nous nous poser ?
- Enseigner, c’est favoriser l’apprentissage chez des étudiants qui sont généralement peu outillés d’un point de vue de leurs connaissances méta-cognitives et autorégulatrices ;
- Enseigner, c’est aussi mettre en place des scénarios qui vont amener les apprenants dans une situation où ils ont besoin d’informations supplémentaires pour résoudre un problème. En tous cas, si l’on souhaite qu’ils soient actifs au sein de la classe ;
- Un constat également effectué est que les chargés de cours reproduisent dans leur pratique professionnelle ce qu’ils ont vécus en tant qu’apprenant. Sauf qu’on a vu précédemment qu’un prof sur cinq utilisait de temps à autre un support de présentation, un média de transmission de l’information ;
- A ce jour, la quasi totalité des chargés de cours n’ont pas eu d’expériences de formations intégrant les intelligences artificielles qu’ils pourraient reproduire dans leur pratique.
… et des opportunités
Le défi est grand pour chacun d’entre-nous. Comment les intelligences artificielles ou plutôt les robots conversationnels pourraient nous aider dans notre pratique enseignante? Et même avant les intelligences artificielles, comment les outils numériques peuvent nous aider en tant qu’enseignant ? Les outils numériques sont-ils aujourd’hui indispensables à l’enseignement ? Si je délègue mon travail aux outils numériques à quoi vais-je encore servir au sein de ma classe ?
Je vous invite à explorer ces pistes dans les articles suivants :
- L’intelligence artificielle et ses chatbots : Description et analyse pour y voir plus clair
- Comment l’IA peut-elle m’aider à concevoir mon cours ?
- Optimisez les apprentissages L’IA et les flashcards interactives
- Évaluer pour mieux accompagner : Les enseignements clés du rapport EVA (Québec)
Bibliographie
Tricot, A. (2016). École numérique : de quoi parle-t-on ?. Dans : Jean-François Dortier éd., La Communication: Des relations interpersonnelles aux réseaux sociaux (pp. 345-361). Auxerre: Éditions Sciences Humaines. https://doi.org/10.3917/sh.dorti.2016.02.0345
Goodrow, C. (2017, 27 février). You know what’s cool ? a billion hours. blog.youtube. Consulté le 8 septembre 2023, à l’adresse https://blog.youtube/news-and-events/you-know-whats-cool-billion-hours/_
Baromètre Digital Wallonia 2018 Education & numérique_. (2021, 17 septembre). Digital Wallonia. Consulté le 8 septembre 2023, à l’adresse https://digitalwallonia.be/fr/publications/education2018/
Blogs, M. C. (2023, 7 février). Microsoft and OpenAI extend partnership – the official Microsoft blog. The Official Microsoft Blog. https://blogs.microsoft.com/blog/2023/01/23/microsoftandopenaiextendpartnership/
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